Déclinologue
Alors qu’il répond aux questions des journalistes en salle de presse, juste avant la rencontre qui doit opposer la sélection uruguayenne qu’il dirige au Brésil dans le cadre de la Copa América, l’entraineur argentin Marcelo Bielsa sort de son narratif habituel et se met à parler du football actuel…
Je n’ai jamais éprouvé la moindre empathie pour ce technicien porté au nu par une partie de la presse mondiale, des professionnels et une moitié du public et raillé par la partie adverse. Cependant, cela ne fait pas de moi un partisan du camp qui voit en Bielsa, un type surcoté qui se la raconte.
Il y a longtemps, j’ai mis en lumière ce que Bielsa représente dans le monde du football. Un technicien, martial, dogmatisé de la tête aux pieds, qui considère les joueurs comme des pièces sur un échiquier. Bielsa est un homme de gauche, assurément. Tout son karma provient des cultures de jeu mises en application par les absolutistes qui ne jurent que par un collectif comprimé. Avec Bielsa, il faut parler de commissaire technique et non d’entraineur et de coach.
Lors de cet échange, il se lâche sur certaines choses…
« Qu’est-il arrivé au football ? Que s’est-il passé avec ce football, qui est essentiellement une propriété populaire ? Les pauvres ont très peu accès au bonheur parce qu’ils n’ont pas d’argent pour l’acheter. Le football, parce qu’il est gratuit, est d’origine populaire. Ce football, qui est l’une des rares choses que les plus pauvres gardent, ils ne l’ont plus. Parce qu’Endrick s’en va à 17 ans, pareil pour l’ailier de Palmeiras (Estevão)… »
« Pour moi, cela fait beaucoup de mal au football. Ce sport a une particularité : lorsqu’il devient complètement prévisible, il perd de son attrait. Je suis sûr que le football est dans un processus de déclin »,
« De plus en plus de gens regardent le football, mais il devient de moins en moins attrayant. On ne privilégie pas ce qui en a fait le premier sport au monde. On favorise le business, car le business, c’est que beaucoup de gens regardent les matchs. Mais avec le temps, il y a de moins en moins de footballeurs qui valent la peine d’être regardés, le jeu est de moins en moins agréable, et cette augmentation artificielle du nombre de spectateurs sera réduite. Le football, ce n’est pas cinq minutes d’action, c’est bien plus que cela, c’est une expression culturelle, une forme d’identification. »
Il rassure ses partisans et non partisans.
Malin, il dénonce les problèmes qu’il a lui-même, parmi d’autres, enfantés. Avec son approche du football, il a œuvré à créer des joueurs qui obéissent au doigt et à l’œil, crétinisés dans des systèmes de jeu où l’ensemble est privé de toute réflexion et d’autonomie personnelle. Une modélisation du football qui s’accole avec ce que les clubs formateurs produisent en matière de joueurs. L’Argentin est en phase avec le système dominant qui œuvre à la standardisation du jeu et des joueurs, le rosarino est un enragé et la figure la plus expressive du système.
Il feint de s’inquiéter pour les couches populaires qui délaissent le football. En l’occurrence, il se fait la voix de ses maitres qui ont la trouille de voir un large public se tourner vers autre chose. Un football pur, non dénaturé et hors de contrôle de la FIFA, de la presse et des grandes multinationales qui financent le football professionnel.
Pur produit de l’anti football rio-platense, c’est un apôtre du football-control, un courant doctrinaire aussi ancien que son opposé en Argentine et qui s’est imposé à terme. Encore un peu de temps pour éclairer le jeu, il pourra rejoindre la FIFA et se joindre à d’autres commissaires techniques dans son genre pour statuer sur le niveau des joueurs et comment doit jouer le monde.