Arbitrage en Liga

Récemment, invité dans un échange sur la chaîne d’un célèbre you-tubeur espagnol, Gerard Piqué s’est épanché sur l’arbitrage en Liga, le championnat de football professionnel espagnol. Une fois n’est pas coutume, le joueur catalan à fustiger un corps arbitral qui est au service du Madrid. Une vieille histoire en somme. Néanmoins, Piqué ne dit pas que des sottises, mais au vu de sa position, il s’est bien gardé d’aller jusqu’au bout de la question…

Arbitrage

C’est un fait avéré. En Espagne, les clubs du Madrid et du FC Barcelone bénéficient d’un arbitrage particulier. D’aucuns vous diront que c’est dû au prestige des deux clubs, un argument qui revient en boucle dans la bouche de gens tout heureux de cette situation. Les problèmes d’arbitrage dans le football espagnol remontent à la création des compétitions régionales et nationales. Ce n’est pas dû à une situation particulière qui règne dans le football ibérique, on retrouve ce phénomène un peu partout dans l’Europe du football, rien de bien méchant à l’origine…

Les choses évoluent avec l’apparition du championnat professionnel et la création d’une première division à douze clubs. Un fait qui intervient juste avant le conflit civil. Chaque club est méfiant vis-à-vis de l’arbitrage, car la commission qui désigne les hommes en noir est régulée par des hommes proches de certains clubs. C’est un des grands maux du football ibérique, un mal qui perdure encore de nos jours…

Après la fin du conflit civil, le football reprend ses droits. Il est fort intéressant de constater que si la vie des clubs est agitée, il en ait de même pour la fédération et son système d’arbitrage. Les bonnes habitudes reprennent, chacun essaye de tirer avantage de la situation. Au milieu de toute cette effervescence, un certain Pedro Escartín apparaît comme l’homme de la situation.

L’homme “providentiel”

Né en 1902 à Madrid, Pedro Escartín Morán est un ancien joueur du club Real Sociedad Gimnástica Española. Considéré comme un bon joueur, il met fin à sa carrière de joueur suite à une maladie. Rétablie, Escartín jongle entre le journalisme et sa passion du football. Après un temps de réflexion, il se tourne vers l’arbitrage. Escartín fait preuve d’autorité au sifflet, ce qui lui vaut d’être désigné arbitre du centre au JO d’Amsterdam en 1928. Il arbitre en tant que juge de touche au Mondial 1934 en Italie. Peu à peu, il devient un référé incontournable dans l’Europe du football. Il arbitre un tas de rencontres qui opposent les meilleurs clubs européens de l’époque et des sélections nationales. En 1940, Pedro Escartín rejoint la Commission de discipline de la FIFA, une situation que ne manque pas de remarquer le régime franquiste.

Escartín occupe ce siège jusqu’en 1967. Lors de son départ, il est décoré de la médaille d’or de la FIFA par son président Stanley Rous, un autre intriguant. Sur le plan national, fort de sa notoriété acquise à l’étranger, Escartín rejoint le corps administratif de la fédération espagnole de football. En 1952, il se retrouve à la direction de la commission nationale de l’arbitrage.

Contexte

Au tout début des années cinquante, Pedro Escartín est un des hommes forts du football ibérique. Sa réussite à l’étranger en fait une personne que l’on écoute en Espagne. Le monde du football ibérique n’est pas dupe pour autant, car tout le monde connaît les accointances de Pedro Escartín avec le club du Madrid. Pour autant, l’ensemble des dirigeants de club est bel et bien obligé de faire profil bas face à l’homme qui siège à la FIFA. Homme de réseau, Escartín est incontournable au point où il prend en main la sélection nationale durant une année.

Croyance

D’aucuns vous diront à l’évocation du nom d’Escartín qu’il est l’homme sur lequel le club blanc s’est appuyé pour édifier son pouvoir, et ce, au détriment des autres clubs ibériques. C’est une affirmation qu’il faut un brin tempérer. Pedro Escartin n’a  eu aucune influence au sujet des succès du club castillan sur la scène européenne. Cependant, on constate qu’il est omniprésent dans la marche du club meringue sur le plan national. Une aide matérialisée par la nomination d’arbitre affairé à ce que le club blanc ne soit l’objet de décision défavorable, ce qui revient à produire une forme d’avantage.

Réaction

Face à la mainmise d’Escartín sur le corps arbitral, les dirigeants du FC Barcelone dont certains étaient proches du Caudillo finirent par se plaindre auprès des instances fédérales. Le club blaugrana du fait de sa diplomatie fortement présente dans les archanges du pouvoir et de la fédération espagnole de football, obtint “réparation”. Un jugement qu’il faut traduire par  rééquilibrage. C’est sous la férule de Pedro Escartin que prend forme cet arbitrage à deux vitesses dans le football espagnol. Un arbitrage en faveur du Madrid et du FC Barcelone. Dans une Espagne affaiblit qui se remet du conflit civil et un brin esseulé sur la scène internationale, l’expression du fort à un aspect rassurant pour une partie de la population…

Favoritisme et hypocrisie

Durant les années soixante et soixante-dix, plusieurs épisodes mettent en scène les deux clubs. Tour à tour, chacun accuse l’autre de bénéficier d’un arbitrage complaisant à intervalle régulier. La bonne affaire. Une pièce de théâtre joué et rejoué qui fera l’affaire des deux clubs. Une comédie qui aboutira à la création médiatique du “Clàsico” au tout début des années quatre-vingt.

L’Espagne est forte de son football, de ses clubs, de ses cultures-jeu, mais les Espagnols ne le savent pas, car hypnotisés et abêtis par ses deux institutions sportives qui se sont ouvertement dissocier du royaume espagnol depuis deux décennies. Deux outils de domination et d’asservissement aux mains des bourgeoisies conservatrices et néolibérales locales.