New York, les dessous d’une absence de rivalité
En matière de confrontation sportive, on ne compte pas les grandes villes qui abritent deux, voire plusieurs clubs qui s’affrontent périodiquement dans le cadre de compétition diverse. Chaque opposition a sa petite histoire selon les pays. Pourtant, il existe une dualité qui a échappé aux critiques habituelles et le tout se déroule à New York…
À ma gauche, les New York Giants, à ma droite, les New York Jets. Ses deux franchises de football américain et membre de la surpuissante NFL s’affrontent annuellement lors d’une rencontre amicale en vue de préparer la saison et se croisent une fois tous les quatre ans en championnat. Malgré ses joutes, cette confrontation ne constitue en rien un classique entre les deux formations. La relation entre les NY Jets et les NY Giants demeure à ce jour la confrontation la plus étrange dans le monde du sport professionnel…
Il existe peu de matériel littéraire sur cette absence de rivalité entre ses deux formations. Quelques articles sur des blogs et la fiche Wikipédia en anglais constituent le fond de l’information sur le sujet. Exemple, un témoignage saisi sur un blog, toujours la même teneur.
http://www.footballamericain.com/nfl/new-york-giants/jets-v-giant-une-vraie-fausse-rivalite.html
Quant à l’ensemble de la presse sportive nord-américaine, elle ne s’est jamais penchée sur cette particularité, et pour cause…
Une lente ascension
C’est en 1925 qu’intervient la création des NY Giants en tant que franchise membre de la toute jeune NFL, une ligue fermée créée quelques années auparavant. À la source on trouve un bookmaker d’origine irlandaise, Jack Mara. Fondé une équipe de football à New York est une action plus que courageuse, car si le football US commence à devenir populaire dans le pays, New York reste à l’écart de ce nouveau divertissement. La grande pomme est entièrement dévouée au baseball et à ses trois formations, Giants, Yankees et Dodgers.
La NFL connaît quelques difficultés durant ses premières années. Des franchises créées disparaissent l’année suivante. Peu tiennent le cap et si les Giants ne dégagent pas de revenus importants, ils sont suffisants pour faire vivre l’équipe.
Peu populaire, les Giants porte le même patronyme qu’une des franchises locales de la Major League de baseball et évolue dans la même enceinte, le Polo Grounds, ce qui hérite bien des New-Yorkais. À l’orée des années quarante, la NFL commence à faire sa place dans le paysage du sport professionnel nord-américain. Bien que les Giants raflent trois championnats en 1927, 1934 et 1938, l’équipe de Jack Mara ne transcende pas les foules.
C’est le moment ou le fondateur cède son équipe à ses fils, Tim et Wellington. Les frères Mara deviennent les hommes forts de la ligue en épaulent Preston Marshall propriétaire des Washington Redskins. Vers le milieu des années cinquante, les Mara prennent la décision de quitter le Polo Grounds et signe un contrat de location avec les propriétaires des New York Yankees afin d’utiliser le Yankee Stadium. Au même moment, les Giants version baseball s’envolent vers San Francisco et les Dodgers vers Los Angeles, ce qui donne un peu d’air au frère Mara.
En 1956, les Giants remportent leur quatrième titre de champion en disposant des Chicago Bears. L’équipe dirigée par Jim Lee Howell domine son sujet. Au côté de Howell on remarque la présence de deux assistants. Le premier Vince Lombardi s’occupe de l’attaque. Le second Tom Landry de la défense. Malgré sa présence au Yankee Stadium, les Giants gagnent de nouveaux partisans, toutefois et du fait des nouvelles dessertes, les observateurs de la NFL constatent que si la fan-base des Giants s’agrandit, elle provient essentiellement de l’extérieur.
Concurrence
Les années soixante bouleversent l’ordre établi. Le départ successif des Giants et Dodgers en Californie et la création des Mets ont quelque peu recentré les rapports de forces en matière de sport professionnel dans la grande métropole. Le football US est désormais populaire, néanmoins la franchise des Mara ne capitalise pas sur cet engouement. La naissance des NY Titans rebaptisés du patronyme de Jets et membre fondateur de la jeune AFL annihile toute forme de conciliation entre le public de la grande pomme et les Giants.
Les Jets prennent leur quartier dans le flambant neuf Shea Stadium où évoluent les Mets, quant à Wellington Mara, il perd son frère et devient seul maître à bord de la formation au casque bleu. L’avènement des jets s’avère particulièrement difficile à contenir pour Mara.
L’explosion du quarterback Joe Namath et la victoire au Super Bowl de 1969 règlent la question. New York change de face avec toutes ses nouvelles réalisations architecturales dont le Seagram Building de Ludwig Mies van der Rohe et le terminal de la TWA fruit d’Eero Saarinen à l’aéroport JFK, les NY Jets incarnent la modernité, le pouvoir de la finance, la frime, l’insolence, là où les Giants sont associés à l’Amérique ouvrière, artisanale et entrepreneuriale vivant hors de la grande métropole. En parodiant la chose, on serait tenté de parler de l’Amérique de Truman Capote face à l’Amérique d’Upton Sinclair.
Malgré de multiples revers, Wellington Mara parvient à résoudre un problème récurrent pour son club, la construction d’un stade. Issu d’une famille sans fortune, Mara s’associe avec la localité d’East Rutherford dans l’État du New Jersey. Après avoir établi un partenariat avec quelques investisseurs, les autorités locales lancent la construction du complexe sportif de Meadowlands. Le projet prévoit la réalisation d’un hippodrome, de deux salles de sport, d’un ensemble de commerce et l’édification d’un grand stade de football. Avec la réalisation du Giants Stadium, Mara donne à son équipe un outil de travail de grande qualité et le club gagne encore des supporters venus de divers États.
Équipe étrangère
Vers la fin des années quatre-vingt, les Giants remportent leur premier Super Bowl. Néanmoins cette victoire est marquée par la position intransigeante du maire Edward Koch. Il refuse d’honorer les vainqueurs, car les Giants sont étrangers à New York ! Le deuxième Super Bowl acquis dans la foulée ne change rien. Cette attitude radicale souligne le poids des NY Jets dans la ville.
Pourtant, à cette époque les verts plongent. Les Jets abandonnent le Shea Stadium et comble du sort se réfugie au Giants Stadium. On note que les administrateurs de la franchise new-yorkaise font face à des bouderies et de nombreuses protestations des fans, néanmoins, les Jets conservent leurs supporters.
Différents
Quelque temps plus tard, le neveu de Wellington Mara rentre en conflit avec son oncle. Il lui reproche entre autres sa gouvernance paternaliste à la tête des Giants qui empêche toute évolution de la franchise. Il y a un peu de vrai dans ses affirmations. La vérité est que Wellington Mara père de la collectivisation des droits télé en NFL est le propriétaire de club le plus estimé de la ligue et surtout le plus aimé par ses joueurs dont bon nombre le considère comme un deuxième père. Le conflit se règle par la cession des parts du neveu, 50%, à Steve Tisch, célèbre producteur dans l’audiovisuel.
En 2005, Wellington Mara s’éteint et laisse les destinées des Giants à son fils John. Depuis, le club a remporté deux nouveaux Super Bowl et a eu droit aux honneurs de la ville de New York du fait des accointances de Tisch avec le maire de New York de l’époque Michael Bloomberg. Depuis, les Giants ont emménagé dans une nouvelle enceinte, le Met-Life Stadium construit sur les ruines du Giants Stadium que la franchise a cofinancé avec les autorités locales et les NY Jets, ses derniers s’étant résignés à l’idée de construire leur propre arène sur les berges de l’Hudson River…
Le sport plus que la polémique
Au vu de l’historiographie des deux franchises, on est tenté de croire que tous les ingrédients étaient réunis pour faire de cette confrontation, une affiche explosive…
Cette absence de rivalité qui dure indéfiniment tiens au fait que les médias, les autorités politiques et administratives ont fait en sorte que le sport professionnel à New York ne soit jamais un enjeu politico-social, peu importe les diatribes du très démonstratif Ed Koch.
De nos jours, les deux franchises qui évoluent chacune dans une conférence suivent leur propre route sans trop se préoccuper des résultats de l’autre, quant à la tribune, elle reste apolitique…