La chevauchée tourmentée de Richard Seaman

Nürburgring, juillet 1938…

Dans une atmosphère fiévreuse, les bolides surpuissants s’élancent à l’assaut du Ring. Dès le début de course Hermann Lang un des leaders de Mercedes prend les devants et se détache de ses poursuivants, mais l’ancien mécanicien commet une erreur. Il sort de la piste, derrière Rudy Caracciola multiple vainqueur sur la Nordschleife est malade, il décide après quelques tours d’arrêter et de céder son volant à Lang revenue au stand. Les incidents se succèdent et l’épreuve se résume rapidement à une lutte qui oppose Manfred Von Brauchitsch et le pilote anglais Richard Seaman. Après une course poursuite les deux coéquipiers stoppent au stand pour ravitailler. Le sort semble s’acharner sur les coureurs germaniques, car la monoplace de Von Brauchitsch prend feu. Seaman qui se trouve derrière repart dans un panache de fumée.

Désormais loin devant le jeune champion britannique s’impose après une course haletante de 3 heures et cinquante minutes devant plus de 300 000 milles spectateurs. Arrivée au stand Seaman est félicité par ses coéquipiers et l’ensemble de l’écurie Mercedes. Sur le podium accompagné d’Hermann Lang qui vient d’arracher la deuxième place, il exécute le salut nazi à deux reprises. Dans l’opinion britannique, ce geste déclenche un tas d’interprétation. Richard Seaman était-il un sympathisant de la cause nazi ou bien un coureur automobile indépendant qui avait des accointances avec les services secrets de Sa Majesté?

Richard John Beattie « Dick » Seaman voit le jour en 1913, c’est un fils d’un riche homme d’affaires d’origine écossaise. Très tôt passionné par la compétition,  Seaman grâce au soutien de sa mère participe à plusieurs épreuves. Véloce rapide et endurant il se fait remarquer dans la communauté des pilotes. Au volant d’une Maserati offerte par maman, il réalise des performances qui attire l’œil d’Alfred Neubauer, le rondouillard manager de Mercedes qui l’invite à passer un test.

Richard Seaman, pilote du Reich

Bien que le programme de Mercedes et Auto-Union en GP soit financé par le gouvernement allemand ce sont les meilleurs pilotes qui sont choisis. Ainsi tour à tour les Italiens Fagioli et Varzi le Français Chiron et le richissime Suisse Kautz porteront les couleurs des firmes de Zwickau et Stuttgart. Avec Seaman c’est une autre histoire, car il est Anglais. Sa mère est furieuse, victorienne jusqu’au bout des ongles elle conçoit mal que son fils puisse piloter une voiture pour la gloire du Reich allemand. Après quelques tours le sportsman fait une bonne impression à Neubauer que les soixante-dix autres coureurs qui se sont succédé durant ses journées de détections. Contre l’avis d’un certain entourage, Neubauer engage Seaman, mais c’est Hitler qui donne son accord final pour la signature du jeune Anglais. Par ce geste Seaman intègre la meilleure écurie du plateau, qualifié en tant que pilote remplaçant aux côtés d’Hermann Lang, il participe tout de même à un nombre important de courses.

Encore loin du niveau des Von Brauchitsch de Rudy Caracciola et d’Hermann Lang, il s’entraîne dur et maîtrise de mieux en mieux au fil des mois le formidable potentiel des flèches d’argent. C’est en ce mois de juillet 1938 au Nürburgring qu’il accède à la gloire éternelle. Sur le circuit le plus difficile du monde, il s’impose sans commettre une seule erreur. Pour beaucoup d’observateurs, il s’agit d’un couac. Voir les pilotes allemands battus par un jeune Anglais sur une monoplace germanique tient de l’affront, mais la propagande nazie serra très bien tourné l’affaire. Seaman parle peu à la presse, mais échange ses impressions avec un photographe et journaliste qui est devenu son meilleur ami. George Monkhouse couvre tous les Grands Prix.

Le champion anglais laisse transparaître un être ambivalent. Si son patriotisme est sans faille son admiration pour le régime nazi et en particulier la personnalité du Führer apparaît clairement au détour de sa correspondance avec Monkhouse. Mieux encore Seaman très à l’aise en société fait la connaissance de la jeune Erica Popp fille du directeur de BMW. Entre les deux c’est le coup de foudre, ils se marient et s’installent en Bavière. Furieuse la mère de Seaman décide d’ignorer son fils. Certains pensent que Seaman était un champion converti politiquement et culturellement par sa nouvelle vie et l’entourage qui va de pair…..

D’autres mettent son patriotisme en avance, d’après des archives du gouvernement britannique. Il se serait proposé aux services secrets britanniques pour assassiner le Führer lors du salon de l’automobile de Berlin. Croire que Seaman était pronazi ou bien un agent secret semble hasardeux. Enivré par cette société factice, le jeune anglais malgré son éducation avait désormais du mal à se situer vu son tout nouveau statut. Seaman ne possédait pas une analyse intellectuelle poussée pour percevoir les futurs dangers que faisait peser à terme le régime nazi en Europe – stabilité du vieux continent –  et encore moins les problèmes de la société anglaise dans sa globalité, animée elle aussi par un bellicisme ardent. C’était un suiveur d’opinion. D’un autre côté, l’incapacité de l’industrie automobile britannique à produire en totalité une monoplace ayant le niveau des machines allemandes l’avait rendu très amer envers sa patrie d’origine. Plus ou moins séduit par son nouvel environnement léger d’esprit, il s’était peu à peu détaché de ses racines, mais le destin ne lui laissera pas l’occasion de trouver sa voie.

En juin 1939 alors qu’il file vers sa deuxième victoire en Grand-Prix sur le circuit de Spa, il dérape sous la pluie à l’approche du virage de la source. Il s’encastre dans un arbre et sa Mercedes prend feu. Sorti des flammes par un gendarme, il reprend connaissance en arrivant à l’hôpital. Gravement brûlé, il décède dans la nuit après avoir avoué à Rudolf Uhlenhaut ingénieur en chef de Mercedes que c’était entièrement de sa faute, car il allait beaucoup trop vite. Lors de ses obsèques, Hitler fit déposer une énorme couronne de fleurs. L’hommage du Führer fut très remarqué laissant à jamais croître avec le temps un cortège de sous-entendus. Seaman est inhumé au cimetière de Putney Vale à Londres.

Oublié

En quelques années, Dick Seaman est rapidement oublié par le public et les siens. Le conflit mondial est passé par là. Sa mère s’éteint quelques années plus tard quant à Erica Popp, elle part pour les États-Unis avant le déclenchement de la guerre. Elle obtient la nationalité américaine. Installée en Floride, elle décède en 1990. C’est le coureur Stirling Moss qui retrouve la sépulture de Seaman laissée à l’abandon. Le champion britannique la fait restaurer entièrement. Une légende prétend qu’Adolph Hitler aurait ordonné en son temps à la firme de Stuttgart, le soin d’entretenir la sépulture de Seaman. Il y a quelques années, les responsables de Mercedes en Angleterre interrogé sur la question n’ont pas réagi. Ils se sont contentés de laisser entendre par la voix d’un automobile club, qu’il versait chaque année une somme suffisante pour participer à l’entretien de la tombe du champion Anglais…