Nécessité des icônes

L’American way of life est un concept idéologique qui repose sur la toute puissante société de consommation, symbolisée par l’automobile, la propriété privée, c’est une synthèse d’un pays travaillée de l’intérieur par une recherche matérialiste décomplexée. Au début du XX siècle, l’Amérique est encore une jeune nation en manque de repère, les nouveaux héros ne sont plus des militaires, mais des vedettes de cinéma. Le sport ne reste pas à la marge, le baseball qui participe activement à la construction culturelle des États-Unis offre à la nation ses premières icônes …

C’est en 1903 que naît Ludwig Heinrich dit Lou dans un quartier de Manhattan, il est le fils unique d’un modeste couple d’immigré allemand. Adolescent sa mère veut en faire un architecte, car un oncle à Lou a connu la réussite, mais l’enfant se passionne pour le baseball. À l’âge de dix-huit ans, le jeune Gehrig intègre l’université de Columbia à la satisfaction de sa mère, mais le baseball occupe une place importante dans l’existence du jeune étudiant, Paul Kritchell, un scout des New York Yankees repère le phénomène. Il est convaincu que Gehrig est un futur crack, pendant deux années, il le suit et lui propose de devenir professionnel.

Après avoir signé son contrat à la grande déception d’une mère et à la joie d’un père, il joue son premier match en juin 1923. Joueur de réserve, il joue une vingtaine de parties durant sa première saison en Major League. Sur le terrain, il occupe le poste de première base. Bien que le manager des Yankees l’utilise avec parcimonie, Gehrig à l’occasion de montrer son talent à la batte.

À cette époque l’équipe new-yorkaise commence son ascension vers les sommets. Elle est composée d’une pléiade de bons joueurs, le jeune Lou se fait une place à l’ombre de Babe Ruth et Bob Meusel. Deux années plus tard, Gehrig devient starter, il réalise une grande saison qui le place au même niveau que le légendaire Ruth. Babe Ruth en prend ombrage, il n’aime pas ce jeune garçon trop policé qui fait des signes d’affections après chaque coup réussi à ses parents installés aux premières loges du Yankees Stadium.

Avec le temps, Babe Ruth change d’attitude, il commence à apprécier le joueur ainsi que l’homme. L’apport de Gehrig est déterminant dans l’ascension des Yankees, la formation new-yorkaise gagne en qualité. Durant ses saisons mémorables, les Yankees raflent quatre séries mondiales avec Ruth et Gehrig à la tête de l’équipe. Lou Gehrig est un joueur puissant, un athlète, il exhibe parfois son fameux dos. La frappe de Gehrig est un modèle du genre. Quand il cogne la balle, il produit un déhanchement éclair bien avant que la balle soit en contact avec sa batte. Reposant sur sa jambe gauche qu’il fléchit, il plante la droite avec rage dans le sol. Dans cette situation, le home run n’est jamais loin.

Durant ses premières années, la jeune vedette des Yankees rencontre Eleanor Twitchell au Comiskey Park de Chicago. Eleanor est la fille d’un haut responsable de la ville et fan de baseball. Les deux tourtereaux se marient et font souvent les délices des magazines people. Les Gehrig s’installent dans le quartier de Riverdale, un endroit cossu et recherché du Bronx. Pendant les intersaisons, le couple voyage, mais ils n’ont pas d’enfant. Lou comble ce manque en animant des parties entre jeunes défavorisés sur les multiples terrains du Bronx. Durant la saison 1934, Babe Ruth quitte les Yankees pour la formation des Boston Braves et laisse à Gehrig le leadership de l’équipe new-yorkaise.

1939, le début de saison est anormale pour Gehrig, il se sent diminué sur le plan physique. Pendant le camp d’entraînement en Floride, il finit par s’évanouir. Confronté à des douleurs, il décide de passer des examens dans une clinique. Le résultat est terrible pour celui que la presse américaine surnomme Iron Horse. Le diagnostic révèle que Lou Gehrig est atteint d’une maladie rare. Le première base des Yankees soufre d’une sclérose latérale amyotrophique. Gehrig prend le train pour rejoindre ses compagnons à Washington.

Dans un premier temps, il s’aligne contre les Washington Senators puis à Detroit, il laisse sa place après avoir joué 2130 rencontres d’affilée. Face à la presse, Gehrig reste discret sur sa maladie, il confie simplement que le baseball s’est fini. La direction des Yankees décide de lui rendre un vibrant hommage ainsi que la ville de New York. Cette journée est déclarée Gehrig-Day, soixante mille spectateurs prennent d’assaut l’enceinte des Yankees. Les adieux sont déchirants pour Gehrig, au micro, il clame qu’il est un homme chanceux et plus que jamais, il désire vivre. Babe Ruth est là ainsi que tout le gratin de la cité, mais personne ne connaît l’état de gravité du champion. Les Yankees retirent son numéro quatre pour toujours, il est rapidement intronisé au hall of fame…

Lou Gehrig accepte de travailler pour la municipalité de New York. Il fait de son mieux jusqu’au moment où son état de santé s’aggrave au point qu’il ne peut plus sortir de chez lui. C’est en juin 1941 que l’ancienne étoile du baseball décède dans sa maison de Riverdale à l’âge de trente-huit ans…

Pour l’homme de la rue, le choc est énorme, car Lou Gehrig semblait indestructible résistant à toutes les tempêtes, toujours calme sûr de lui. Pour ses obsèques toute la famille du baseball est là, le président Roosevelt va de son message exaltant l’homme exceptionnel qu’était Lou Gehrig. Le sémillant maire de New York, Fiorello La Guardia dresse des louanges au joueur et à l’homme. Lou Gehrig est incinéré, ses cendres sont déposées au cimetière Kensico de New York. Eleanor son épouse consacre le reste de sa vie à une fondation pour la recherche médicale. Elle ne se remarie pas et décède en 1984. Le président Ronald Reagan lui rend un hommage télévisé depuis le bureau ovale.

Dans un pays en pleine construction, le baseball a joué un rôle majeur sur le plan culturel et économique. Les plus hautes autorités du pays ont encensé ce champion durant toute sa carrière et se sont inclinées à sa disparition. Gehrig bien qu’il n’est jamais prétendu à un tel honneur du fait de son destin à servit comme bien d’autres icônes à cimenté une nation encore en manque de héros nobles.