Bernd Rosemeyer & Elly Beinhorn
” Tu devrais faire attention, il y a des rafales, c’est très dangereux, tu devrais attendre demain. Merci, Rudy, mais je vais tenter le coup “…
Il est dix heures trente en ce jour du 28 janvier 1938 et Bernd Rosemeyer pilote vedette d’auto-union prend le volant pour produire un nouveau record de vitesse sur la portion rectiligne de l’autoroute Francfort-Darmstadt. Rosemeyer n’écoute pas les conseils de Rudy Caracciola son principal adversaire qui vient d’établir un temps de 432, 2 km/h pour le compte de Mercedes. À 11 H 00, il s’élance pour une première tentative, il échoue et revient en arrière au point de départ ou toute la logistique du team Allemand l’attend. Trois quarts d’heure plus tard, il se lance à nouveau à la conquête du record, Bernd Rosemeyer a rendez-vous avec son destin…
Il y a foule en cette journée de 1931 à l’aéroport de Berlin pour réceptionner la belle et jeune héroïne de l’aviation Elly Beihron. Après un long périple à travers l’Afrique où toute l’Allemagne la croyait morte, l’aventurière revient sur sa terre natale en triomphe. Dans une société prise de convulsions, la belle intrépide tranche avec l’atmosphère qui traverse le pays. Dès l’âge de vingt et un ans, Elly venue au monde en 1907 dans la ville d’Hanovre et fille d’un commerçant passe son brevet de pilote. Elle s’initie à la voltige aérienne sous les conseils de Robert Ritter Von Greim futur général dans la Luftwaffe, puis elle se lance dans des vols d’explorations de longue durée avec le concours du chercheur Hugo Bernatzik. L’année suivante elle réalise un nouvel exploit, elle quitte Berlin pour atteindre Sydney via les Indes après moult péripéties. Dans une Allemagne qui sombre lentement elle apparaît comme un phare pour la condition féminine dans son pays. Son petit appareil, un Kleim est démonté, elle se voit contrainte de rallier en bateau la Colombie. Elle longe les Andes puis fonce sur l’Argentine et sa capitale après plusieurs frayeurs. Exténuer, elle prend place à bord d’un cargo qui la ramène en Allemagne ou la foule l’attend.
Très courtisé, elle met ses talents d’oratrice et donne des conférences dans tout le pays ce qui lui permet de financer par la suite ses vols suivant entre-temps elle repousse un nombre conséquent de soupirants. Durant l’été 1935, l’héroïne de l’aviation que les nazis installés au pouvoir tentent de rallier à leur cause sans succès est contactée par l’état tchécoslovaque pour faire des démonstrations. Lors de son séjour, les organisateurs du grand-prix de Brno l’invite, elle doit récompenser le vainqueur sur le podium.
Il fait froid en ce jour de novembre 1934, sur le circuit du Nürburgring. Willy Walb haut responsable de l’écurie auto-union passe en revue une liste de pilote pour faire des essais. Walb est un peu déçu par le manque de bon résultat de ses pilotes durant la saison écoulée malgré les victoires de Hans Stuck. En cette matinée, il doit juger un certain Bernd Rosemeyer, un champion de motocyclette. Né en 1909 à Ligen, Bernd grandit avec son frère en bricolant dans le garage de son père, par la suite, il participe à plusieurs compétitions sur deux roues, il remporte quelques succès pour DKW qui fait partie du giron d’auto-union, Bernd finit par être sélectionné.
Alors que Walb consulte des notes sur la voiture minutieusement préparée par les mécaniciens un bruit de moto rugit à l’entrée des stands. Walb se tourne et voit un jeune homme blond cheveu au vent et souriant qui arrive en trombe. Le jeune champion décline son identité avec fracas. Walb d’emblée séduit par tant d’aplomb lui intime l’ordre d’enfiler une combinaison pour les essais, mais celui-ci reste stupéfait par l’attitude de cet inconnu. Pour Rosemeyer un tel événement doit se fêter, il prend donc le volant vêtu de son costume et s’élance à l’assaut du Ring…
Deux tours plus tard, il revient au stand grâce à l’aide de ses mécanos. Emporté par sa fougue, il a fait un travers et a endommagé sa monoplace, mais malgré cet avatar, le manager de la firme de Zwickau est littéralement subjugué par ce jeune feu-follet. La petite démonstration de Rosemeyer persuade Walb de le faire signer en tant que pilote remplaçant pour la saison 1935.
Bernd ne reste pas longtemps à ronger son frein. Walb le titularise et l’ange blond exprime son talent. Sa manière de jeter sa monture dans les virages, sa conduite agressive en fond très rapidement un pilote populaire, mais malgré quelques performances comme sa deuxième place au Ring, il reste encore en retrait de Hans Stuck. L’été arrive, il se sent de plus en plus confiant, le modèle conçut par le docteur Ferdinand Porsche lui aussi tombé sous le charme de Rosemeyer n’a plus de secrets pour lui. Après de bons résultats se profilent le grand-prix de Brno en Tchécoslovaquie…
En quelque course Bernd Rosemeyer a conquis les faveurs du public au détriment de ses prestigieux adversaires. Le natif de Ligen n’a pas besoin de campagne de presse en sa faveur. Un coup de volant suivi d’un sourire et il met les gens dans sa poche et bien qu’il soit Allemand et utilisé à des fins de propagande par le régime hitlérien qui voit en lui le parfait aryen. La plupart des foules vont l’adopter comme s’il était l’un des leurs.
A Brno, il harcèle ses adversaires pour le plus grand plaisir des spectateurs. Les Mercedes ne sont guère à l’aise sur le tracé tchèque, Rosemeyer profite des erreurs des autres concurrents et il se positionne en tête du Grand-Prix une première place qu’il garde jusqu’au baissé de drapeau.
Heureux comme un enfant après cette victoire, il file rejoindre le podium où patientent les officiels. Parmi eux, Elly l’attend avec le trophée dans les bras. D’emblée Bernd tombe raid amoureux de la belle aviatrice, il devait l’être déjà bien avant, elle n’est guère intéressée par cette marque d’attention et puis Rosemeyer à deux ans de moins qu’elle n’est qu’un gamin à ses yeux, mais la nouvelle star de la course automobile ne se décourage pas. Durant les semaines, il couve Elly et celle-ci finit par céder. Le couple s’affiche rapidement en public…
L’année 1936 démarre sous les chapeaux de roues pour Bernd Rosemeyer. Encouragé par ses résultats acquis lors de sa première saison, il enchaîne victoire sur victoire éclipsant au passage Hans Stuck et Ernst Von Delius ses coéquipiers. Il remporte un total de sept Grand-Prix et s’octroie le titre de champion d’Europe des conducteurs.
Dans les courses de côte, la grande spécialité de Hans Stuck, il fait jeu égal avec le maître de la montagne et prend même le dessus en s’imposant au Schauinsland et dans la Hochtaunuskreis, deux des épreuves les plus prestigieuses du Championnat d’Europe de course de côte.
L’année suivante, Rosemeyer se défend bec et ongle, mais finit par céder face à Caracciola, mais c’est une saison positive, car il remporte de nouveau le Grand-Prix de l’Eifel sur le Ring et surtout la Vanderbilt Cup aux USA une course hors championnat. Après avoir reçu un chèque d’une valeur de 25 000 dollars – plus de 300 000 de nos jours – il le dépose dans une banque américaine. Était-ce en prévision du futur? Bien après sa disparition Elly dépense cet argent pour éditer un timbre à sa mémoire. Une chose est certaine lors de son séjour américain, Rosemeyer tout comme Caracciola avait fortement apprécié l’ambiance décontractée qui tranchait avec la froideur de certains circuits en Europe.
Avec Elly, il s’envole vers l’Afrique du Sud dans leur monoplan ou il dispute deux courses hors championnat qu’il remporte. Tels des aventuriers, ils parcourent le monde, le régime hitlérien tente d’exploiter le couple qui répond au profil aryen, mais les Rosemeyer ne prêtent pas attention aux nombreuses sollicitudes dont ils sont l’objet de la part du pouvoir. Malgré la perte du titre, Rosemeyer se console en fêtant la naissance de son fils Bernd Jr.
La saison suivante commence avec les inévitables tentatives de record de vitesse. Alors qu’il file à 420 km /h, le prototype fait une embardé frappé de côté par une violente rafale, Bernd Rosemeyer perd le contrôle du bolide qui s’écrase dans un vacarme assourdissant de tôle déchiré vers la chaussé. Le choc est terrifiant, le champion allemand est éjecté à plus de cent mètres de sa monture celle-ci fini sa course contre un talus. Le docteur Glaser qui suit à distance la tentative dans une voiture de secours arrive près du champion. Celui-ci est encore vivant, mais il décède quelques minutes plus tard dans ses bras en raison de ses multiples blessures.
Le pays est sous le choc et les autorités ne perdent pas de temps pour récupérer la mort du champion. Elly voulait un adieu dans l’intimité, mais Hitler ordonne que l’on organise des obsèques nationales. Rosemeyer était comme tous les champions automobiles allemands membre honorifique de la SS à son corps défendant avec le grade de capitaine. Il est inhumé au cimetière de Dahlem à Berlin non loin de son ancien coéquipier et ami Ernst Von Delius décédé un an plus tôt.
Pour Elly la vie continue, l’aviation et Bernd Jr seront les seuls remèdes pour essayer d’oublier. En 1940 elle est sollicitée par le régime pour incorporer la Luftwaffe, elle décline prétextant que Bernd Jr l’accaparait. Deux ans plus tard, elle épouse un industriel Karl Wittman et donne une petite sœur à Bernd Jr. Après la fin du conflit, elle est interrogée par les inévitables oies blanches de la nouvelle administration de l’État pour son attitude bien qu’elle n’ait jamais servi le régime hitlérien. Elle rebondit en Suisse et pilote de nouveau. Toute sa vie sera encore dédiée à l’aviation. Elly Beihron décède en 2007 à l’âge de cent-ans dans une maison de retraite à Munich près de son fils devenu spécialiste en orthopédie, elle est inhumée au côté de Bernd.
L’histoire des Rosemeyer se confond avec la période la plus trouble de l’Allemagne récente. Certains pensent que les Rosemeyer, bien qu’ils n’aient pas servi l’État nazi aurait dû être plus véhément à l’image d’un Albert Richter envers le régime. Rosemeyer était un pilote qui mettait sa vie en jeu tous les week-ends de course. On pourrait parler de neutralité vis-à-vis du pouvoir. Le pays au bord du chaos s’était redressé en quelques années. Il y a une logique à ce que Rosemeyer ne se soit jamais intéressé de près au fait politique…