Militarisation du jeu 1/2

Lors de l’année 1977, Cláudio Couthinho est appelé par les responsables de la CBF pour prendre en main la sélection nationale pour préparer le mondial qui doit se dérouler en Argentine. Pour le monde du football professionnel, c’est une surprise même si Claudio Coutinho est loin d’être un inconnu. Né dans l’État du Rio Grande, il déménage aussitôt avec sa famille pour Rio de Janeiro.

Pendant sa jeunesse, il intègre une école militaire. Il atteint rapidement le grade de capitaine et fait preuve d’assiduité pour la pratique sportive. Durant son cursus scolaire, il obtient son diplôme de professeur d’éducation physique et fait la connaissance de plusieurs personnes qui vont l’accompagner lors de son odyssée dans le monde du football.

En 1968, il se rend à un congrès aux États-Unis, au titre de représentant de son école. Pour Coutinho, c’est une révélation, il rencontre le professeur américain Kenneth Cooper, inventeur du test qui porte son nom. Coutinho assiste à des cours à la NASA ou enseigne Cooper. Ayant rejoint la France, il passe une maîtrise à l’université de Fontainebleau…

 Echec en perfide Albion

Après l’échec au mondial de 1966 en Angleterre, la junte militaire qui dirige le pays diligente une commission pour comprendre les mauvais résultats du onze auriverde durant ce mondial. Une fois les auditions terminées, le pouvoir crée la cosena, le comité de sélection nationale pour constituer un staff technique. Une vieille histoire…

À cette époque, le football brésilien est traversé par plusieurs courants. Cette situation remonte aux années trente, elle se coalise avec la situation politique du pays et la gouvernance des clubs. C’est le moment où l’État prend le football en tant que jeu populaire au sérieux. Les clubs et la sélection sont soumis à un suivi par les instances fédérales. Sur le plan politique, le Brésil, après avoir été l’objet de tentatives de déstabilisations de l’étranger, est gouverné par un ancien militaire Getulio Vargas. En 1935, le pouvoir met fin à une tentative de putsch mené par son leader Louis Prestes et une cohorte de bolcheviques dans le pays. Un complot ourdi à l’étranger. Vargas profite de l’aide de militaires qui répandent la rumeur d’une nouvelle tentative de coup d’État mené par les communistes pour instaurer l’État Nouveau. Militarisme de droite, centralisation du pouvoir et interventionnisme de l’État.

Le football ne reste pas à l’écart de l’État Nouveau. Les clubs, des associations sportives détenues par les socios, sont amenés à faire preuve de transparence au niveau de leur personnel. Il est donc de bon ton de confier les formations à des techniciens et éducateurs, le plus souvent, reconnu par l’État.

 Courant doctrinal

Dès lors, les clubs se conforment aux souhaits de l’État. Parmi les premiers techniciens formés à l’université, on remarque Otto Bumbel. Ancien piètre joueur intérimaire passé par Flamengo et les Corinthians, en charge du Gremio Porto Alegre, il incarne ce type de nouveau technicien qui apparait dans le paysage du football brésilien durant le second conflit mondial. Après avoir coaché des années le Gremio Porto Alegre, Bumbel s’envole pour l’Espagne ou son savoir sera apprécié par des clubs ibériques ou le culte de l’entraîneur est fort.

D’autres jeunes techniciens, tous diplômés de l’École nationale d’éducation physique, intègre l’armée. Il se forme différents courants en matière de pensé le jeu, cependant l’ensemble reste fidèle à ce qui leur a été enseigné. En matière de football, il s’agit d’un collage de ce qui est distillé en Europe. Néanmoins, la durée de vie d’un entraineur sur le banc de touche d’un club professionnel brésilien est d’une année. Les ratés sont nombreux, les réussites rares, quant aux techniciens, anciens joueurs, ils résistent assez bien à cette nouvelle donne, quant à la sélection, elle demeure la chasse gardée des “gens du football”.

Expérience après l’échec anglais

Paulo Machado de Carvalho préside cette cosena. Les gens de la CBF font preuve de méfiance et s’en remettent aux anciens. Aymoré Moreira et Oswaldo Brandão,  sont nommés superviseurs. Les deux penseurs de la commission technique optent pour des formules similaires. Le coach Antoninho, aligne une formation, composé de joueurs paulistes, Zagallo dirige une formation avec des joueurs issus du championnat de Rio. Des dizaines de joueurs sont sélectionnés, lors de ses rencontres.

 João Saldanha, un socialo-marxiste à la tête de la Seleção

Les résultats ne sont pas à la hauteur. En 1967, le Brésil décline l’invitation de l’Uruguay où se déroule la Coupe America. Havelange et le comité de la CBF désignent João Saldanha au poste de sélectionneur. Cette nomination peut paraître étrange, car Saldanha est un activiste socialo-marxiste, ce qui tranche en apparence avec les positions de João Havelange. Intronisé, Saldanha modifie la totalité de la Seleção, rappel de jeunes joueurs, en incorpore d’autres. Sous sa férule, le Brésil réalise un parcours normal lors des éliminatoires en vue du mondial mexicain. En arrière-plan se trame une multitude d’intrigues. Certaines élites qui côtoient le pouvoir voient d’un mauvais œil la présence d’un rouge à la tête du onze auriverde, bien que la gauche brésilienne constitue bien plus qu’une simple opposition contrôlée.

 Les militaires rentrent en scène

Si la sélection brésilienne ne rencontre pas de problème durant ses éliminatoires, néanmoins pour une raison inconnue, Saldanha tance Pelé à plusieurs reprises. Il le trouve vieilli et pense qu’il est myope. Le plus célèbre des numéros dix, le fait savoir aux patrons de la CBF et la presse. Il n’aime pas Saldanha. Il n’est pas le seul.

Le climat se détériore rapidement au sein de la sélection. Le pouvoir profite d’envenimer la sauce. Le général Garrastazu Médici qui vient de remplacer Costa Silva à la présidence du pays et supporter du Gremio Porto Alegre, exige de voir Dario, vedette de son club, aligné au Mexique. C’est trop pour Saldanha.

Havelange sous l’amicale pression des gouvernants, laisse faire, mais garde ses prérogatives sur la nomination du sélectionneur. Otto Gloria est pressenti pour succéder à Saldanha. Gloria à une longue vie dans le football. Il a débuté comme assistant de Flavio Costa au sein du Vasco de Gama.

Son expertise sur le jeu ne peut être remise en question, le fait qu’il soit un brin métis, rebute certaines personnes issues des hautes sphères du pouvoir. D’autres techniciens sont évoqués et le nom de Zagallo est finalement avancé. Le double champion du monde s’est tourné vers le coaching, mais son expérience reste sommaire à ce poste. Néanmoins, Zagallo à un atout. Les joueurs cadres de la sélection le réclame. Plutôt encadrer, car Zagallo c’est l’ami, l’ancien partenaire de jeu de certains joueurs. Havelange et sa légendaire plasticité d’esprit, valide le choix des joueurs. Néanmoins, il annonce aux joueurs qu’ils vont être encadrés par un supplément de nouvelles personnes au sein du staff technique.

 Mystification

Les joueurs ont obtenu ce qu’ils voulaient, en contrepartie, ils acceptent la présence des militaires dans toute l’organisation de la seleção. Notons, que certains étaient déjà présents sous le prédécesseur de Zagallo. La légende de Saldanha victime des militaires et de quelques joueurs marquées politiquement à droite est une mystification de la presse de gauche. Saldanha appartenait au courant étatiste. Martial, féroce, doctrinal, il finit par coaliser contre lui une grande partie de l’effectif. Violent à un point, ou il se pointe un jour au centre d’entraînement du club de Flamengo pour régler son compte à Dorrival Knippel “Yustrich”, un autre fanatique de l’école européenne, mais appartenant à un courant contraire de celui de Saldanha…