Le garçon de la plage

Les années soixante-dix sont un tournant dans l’histoire du tennis. Alors que l’école australienne domine les débats avec des joueurs vieillissants, une pléiade de jeunes nord-américains débarque dans le monde du tennis professionnel. Parmi eux, se trouve Roscoe Tanner, un jeune natif du Tennessee, fils d’avocat, californien d’adoption, diplômé et joueur de l’université de Stanford. Grand de taille, trapu, la jeune étoile de Stanford remporte la plupart des compétitions qu’il dispute. Tanner est facile dans tout ce qu’il entreprend. Gaucher, un revers a une main, il exécute ses coups avec application.

 Le service de dieu

Tanner se distingue sur deux aspects. Son service et ses volées en revers et coup droit. Personne ne tape la balle comme il le fait. Un lancer cour et avant que la balle prenne de la hauteur, il cogne instantanément. Ses services sont chronométrés à 200 km/h en moyenne. Il demeure à ce jour le seul acteur du circuit ATP à avoir brisé la lame métallique qui tend le filet à deux reprises. Un jour où il se produit à Palm Springs en Californie, il est officiellement chronométré à 246 km/h, le record tient un quart de siècle, battu par Andy Roddick lors d’un match de Coupe Davis, dans un tout autre contexte, surface et matériel. Ses volées constituent l’autre point fort de son jeu. Des volées profondes, inatteignables, pour les cadors de fond de court.

En concurrence avec bon nombre de ses compatriotes dont ses amis Gene Mayer et Arthur Ashe, il prend l’ascendant le plus souvent sur ses adversaires et décroche ses premiers titres sur le circuit. Tanner se hisse aux premières places de l’ATP, cependant, il n’arrive pas à franchir le palier ultime.

Le beach boy, bute le plus souvent sur des adversaires de second ordre, alors qu’il lui arrive de battre, parfois, les meilleurs. Il faudrait parler de fulgurance au sujet de Tanner tant le joueur alterne le pire et le meilleur durant ces années sur le circuit.

Crève-cœur

Playboy et figure de proue de l’équipementier Sergio Tacchini, il trouve enfin l’ouverture en remportant l’Open d’Australie en 1977 en disposant facilement de Guillermo Villas. Malgré ce Grand Chelem, il retombe dans ses travers. Deux ans plus tard, il se propulse en finale de Wimbledon et s’incline en cinq sets face au maître des lieux Björn Borg. Tanner prend mal cette défaite. La rencontre à sa portée lui a filé entre les mains, sans parler d’un arbitrage défavorable.

Deux mois plus tard, il retrouve son bourreau à l’US Open. Lors de cette soirée électrique, il déroule son tennis et exécute le numéro 1 mondial en faisant preuve d’une détermination sans faille. Tanner file vers la victoire, il a hâte de retrouver le jeune McEnroe en finale pour lui donner une leçon. Ce nouvel adversaire a envahi son territoire en quittant Fila pour passer sous la bannière Tacchini.

En demi-finale, alors qu’il survole la rencontre, menant par deux sets à rien, il laisse la partie à son adversaire du soir, Vitas Gerulaitis. Pour Tanner, c’est au-delà de la faute professionnelle. Pour conjurer le sort, il change de raquette et adopte le modèle en graphite produit par la firme française, le Coq Sportif.

Deux ans après ses naufrages à Wimbledon et à l’US Open, son ami Arthur Ashe avec lequel il a remporté plusieurs tournois ATP en double et qui dirige l’Equipe US de Coupe Davis le sélectionne pour affronter en finale l’Argentine de Villas à Cincinnati. Ashe et McEnroe ne peuvent pas se saquer, c’est pour celui qui officie en tant que capitaine une façon de passer un bon moment et d’aider son ami à remporter le trophée. Tanner perd son match, cependant McEnroe remporte ses deux rencontres et le double. Tanner joue le match d’honneur en disposant de Villas dans une sorte de match défi en un set à dix jeux. Ce titre ne remet pas Tanner sur la route du succès.

Malgré de bons résultats, il flanque encore quelques dérouillés aux meilleurs du classement ATP, il reste en deçà de son niveau réel, Déçus, il en arrive même à ne pas continuer sa collaboration avec Tacchini, lui qui a tant fait pour rendre la marque italienne populaire sur tous les continents. La trentaine passée, il décline lentement et quitte le circuit professionnel…

En retrait du monde médiatique, il réapparaît de temps en temps lors de matches exhibitions et de tournoi pour vétérans, puis l’homme au service canon dégoupille. Il est arrêté à quatre reprises et jugé par la justice de son pays pour des impayés. Cette spirale infernale est le résultat d’une vie privée mouvementée. Divorcé à deux reprises, père de quatre filles, il rencontre une nouvelle fois l’amour. Il se marie et devient père d’une cinquième fille et reconnait la paternité d’un fils, né hors mariage. C’est avec la redécouverte de la bible et ce troisième mariage que l’homme remonte la pente.

Depuis la fin de ses ennuis judiciaires, Tanner a coécrit sa biographie ou il ne s’épargne pas, s’est rabiboché avec ses enfants, et s’est remis au tennis. Il distille son savoir-faire aux jeunes, aux moins jeunes et à des gens fortunés qui rêvent de pouvoir retourner son service, car à soixante-dix ans passés, le cogneur n’a rien perdu de sa technique. En parallèle, il aide aussi des jeunes défavorisées à améliorer leur tennis dans l’espoir pour les meilleurs d’obtenir des bourses d’étudiants. Enfin, il entraine sa dernière fille. Lacey, doué pour le tennis et bientôt adulte. Elle cogne la balle comme son daddy…

Carence   

Bien que pourvu d’un service unique et d’une volée de grande qualité, Tanner ne possède pas un palmarès à la hauteur de son talent. Ses détracteurs ont mis ça sur sa vie dissolue qui ne l’a pas aidée dans sa quête pour parvenir au sommet. Foutaise…

Tanner, bien que pourvu d’une constitution physique robuste, dû faire face à de multiples blessures bénignes tout au long de sa carrière, ce qui a contribué à entacher une régularité nécessaire pour atteindre les sommets. L’excès de musculature a aussi amoindri la vélocité du joueur dans ses déplacements. On remarque aussi l’expression d’un tennis conventionnel dans ses coups défensifs. Trop académique. Acculé, il avait du mal à renverser la vapeur. Enfin, quand sa première balle ne passait pas, le joueur se trouvait démuni face à l’adversité…